Georges Brassens

Autant que ses chansons, le visage de Brassens porte l’empreinte de sa personnalité. Le regard surtout révèle une profonde humanité. Mélange de gravité et de tendresse, de malice et de mélancolie… C’est le regard d’un rêveur lucide qui a choisi de suivre en toute liberté son bonhomme de chemin : loin des nantis, des notables et des notaires ; loin des croquantes et des croquants ; loin de « la sainte famille Machin ».

La valeur de l’amitié, pour Brassens, tient à son caractère totalement désintéressé : « elle ne demande rien en échange, disait-il juste un peu d’entretien. »

Composé en 1964 à la demande du cinéaste Yves Robert, qui s’apprêtait à tourner Les Copains d’après le roman de Jules Romains, la chanson  Les Copains d’abord  est la version joyeuse d’une autre chanson d’amitié, de tonalité plus mélancolique, conçue en 1957 pour le film Porte des Lilas :  Au bois de mon cœur .

Ces deux chansons résonnent comme des aveux. Elles révèlent le vrai visage d’un homme que sa timidité a souvent fait prendre pour un ours. En réalité, sous un extérieur bourru, Brassens cachait avec pudeur un cœur généreux et fidèle. « La seule qualité que j’apprécie, disait-il encore, c’est la fidélité. »

Non, ce n'était pas le radeau
De la Méduse, ce bateau
Qu'on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports
Il naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

Ses fluctuat nec mergitur
C'était pas d'la littérature
N'en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort
Son capitaine et ses matelots
N'étaient pas des enfants d'salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d'abord

C'était pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe
C'était pas des amis choisis
Par Montaigne et La Boétie
Sur le ventre ils se tapaient fort
Les copains d'abord

C'était pas des anges non plus
L'Évangile, ils l'avaient pas lu
Mais ils s'aimaient toutes voiles dehors
Toutes voiles dehors
Jean, Pierre, Paul et compagnie
C'était leur seule litanie
Leur Credo, leur Confiteor
Aux copains d'abord

Au moindre coup de Trafalgar
C'est l'amitié qui prenait l'quart
C'est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord
Et quand ils étaient en détresse
Qu'leurs bras lançaient des S.O.S.
On aurait dit les sémaphores
Les copains d'abord

Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l'un d'entre eux manquait à bord
C'est qu'il était mort
Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l'eau n'se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore

Des bateaux j'en ai pris beaucoup
Mais le seul qu'ait tenu le coup
Qui n'ai jamais viré de bord
Mais viré de bord
Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord